Un nouvel album de New Order, ça doit sortir à l’automne, quand la nuit gagne du terrain sur le jour, quand il commence à faire froid et humide. Sinon, on risque fort de passer à côté.
Blanche coupée
10ème opus des mancuniens, Music Complete sera inévitablement qualifié d’inégal par les tenants d’une ligne curtisienne tout autant que les amateurs de tubes subtils. La mauvaise dope de Lost Sirens en 2013 – composé de chutes de studio qui auraient dû le rester – ayant difficilement calmé le manque des fans, il aurait fallu de la blanche d’une pureté virginale pour faire planer la foule des junkies au front dégarni et aux lunettes de presse-beat. Elle est ici coupée avec bien des ingrédients : de la tension froide façon Cure période Seventeen Seconds sur Singularity, du synthé à Papy Giorgio sur Plastic, du riff funk à la Nile Rodgers (pléonasme ?) sur People On The High Line, de la BO de film d’horreur sur Stray Dog, de la vilaine techno de bac à sable sur Unlearn This Hatred. Quant à la batterie de Superheated, elle est carrément pompée sur le Take On Me de A-ha.
Nostalgie collante
Et pourtant, on va quand même s’en enticher, de cet album. Dans la foulée d’une pochette magnifique aux couleurs plus pastel qu’il n’y paraît au premier abord, et qui montre que Peter Saville règne toujours en maître sur l’exercice du 31.5×31.5 cm, l’album insuffle sa nostalgie collante grâce aux ingrédients qui ont toujours composé les titres les plus attachants de New Order, loin des boules à facettes, de Love Vigilantes à Leave Me Alone en passant par Temptation : la voix tellement fragile de Bernard Sumner, la basse ample façon Peter Hook et la frappe métronomique de Stephen Morris. Un cocktail que l’on retrouve notamment sur Restless, Academic et Nothing But A Fool et qui donne des envies de nuages bas, de premières neiges et d’auto-spleen.
Barney à The Voice
Pour les moins de 30 ans, il est sans doute bon de rappeler que Bernard Sumner n’était pas tout à fait un chanteur destiné à gagner The Voice. Quiconque a vu New Order en concert, à quelque époque que ce soit, sait parfaitement qu’il chante comme une crécelle enrouée. Sans le désistement pour raisons médicales de son ancien frontman au sein de Joy Division, il y a fort à parier qu’il serait resté dans l’ombre à astiquer le manche de sa Gibson. Nécessité faisant loi, il a pris le risque de s’exposer, pour le meilleur. Dans le cadre du conflit probablement financier qui l’oppose à son ancien acolyte Hooky, Barney gagne haut la main le volet artistique : il se trouvera toujours un bassiste besogneux pour faire le job (même si, il faut bien l’avouer, le port de basse en rase-motte et les santiags du barbu nous manquent cruellement) alors que la voix de Barney – imprécise, timide, un peu triste – est unique.
Un peu de retenue
Pas sûr cependant que New Order gagnera de nouveaux auditeurs avec Music Complete. Faut-il avoir grandi dans les années 80 pour apprécier leur pop exigeante ? Avoir largement dépassé les 40 balais et se dire que le meilleur est derrière soi ? Avoir été suffisamment déçu par les hommes pour apprécier cette retenue à sa juste valeur ? La présence de Elly Jackson (La Roux) sur trois titres offre un joli pont entre générations et nous amène à penser que ça doit être sacrément cool d’avoir des grands-parents comme eux.